dimanche 2 novembre 2008

Il y a quinze jours...

Publié le 9 juin 2008


... j'avais envie d'écrire "Je mène une vie dissolue".


Je me lève vers 13h, quand je dis "ce matin", je parle de trois heures de l'après-midi. Je fais rien de ma journée, je reste sur mon lit, je lis. Je prends des médocs mais je bois quand même de l'alcool. J'ai rompu la promesse que je m'étais faite de ne jamais boire deux soirs d'affilée. Je dors, je me douche et je sors.

J'ai découvert deux bars toulousains, dont L'Opus, un bar minuscule et vide, un vrai décor de film, avec des messages à la craie sur les murs et les Doors autour des néons colorés. Il faut à tout prix que je me souvienne de cette ambiance. Si un jour je tourne un film, il y aura une scène dans ce genre d'endroit. J'aime me promener en ville la nuit, il y a une atmosphère particulière. Surtout quand on a une perruque sur la tête. J'adore prendre le métro. J'aime aller en ville rien que pour prendre le métro. Voir tous ces gens entassés comme du bétail qu'on trimballe, avec leurs gueules fatiguées, leur mauvaise humeur de gens blasés. J'aime rire au milieu de ces gens là. Surtout avec une perruque sur la tête ! Finalement c'est beau Toulouse, la première fois j'avais pas aimé. Mais à force de découvrir de petites perles au détour d'une rue, on s'y attache. La ville est un appel permanent à la futilité, on s'achète des fringues, on boit, on sort, on rit, et rien n'a d'importance. C'est comme vivre dans un film, on fait des trucs, on voit des trucs, mais c'est pas vrai, c'est pour de faux. Pourtant le temps qui passe est bien réel : séquence constat à la vue d'un parking à étages abominable. Et oui on est adultes, on se promène dans la rue à deux heures du matin sans chaperon, responsables de nos actes. C'est flippant d'un côté. Remarque, si j'avais besoin d'un directeur de conscience, j'irais à la messe, ce que je ne fais plus depuis mes 14 ans. Je préfère lire Flaubert dans le train.

De retour à Argelès je sors encore, il n'y a nulle part où aller mais on trouve quand même. On est des débrouillards à la campagne. Je suis trop bien habillée pour un bal, je me sens carrément mal à l'aise. Si j'étais sûre de moi je me dirais "Je suis une bombe au milieu de paillards mal dégrossis" mais ce n'est absolument pas le cas. Ce soir je ne bois pas hein, mais on m'offre un verre, si je commande un Banga je vais encore passer pour une conne, tant pis, va pour le blanc limé... C'est débile les bals maintenant. Y'a même plus de slow. C'était tellement drôle quand on avait 16 ans, quand la sono braillait les chansons minables qu'on écoutait le matin dans le bus sur NRJ, quand les beaux terminales étaient là, on espérait chaque soir, on était déçues chaque matin mais on y retournait avec le même espoir chaque samedi. Qu'est-ce qu'on est cons à cet âge là, et en plus on croit tout savoir... Si aujourd'hui je me croisais à 16 ans, je me collerais une bonne grosse giffle, je me dirais comment peux-tu souffrir à cause de ce salaud ? Ca n'arrangerait sûrement pas ma situation actuelle, mais ça serait fait.

On regarde les gamines qui dansent, on s'y revoit, mais on aborde la chose avec tellement de recul. Tout ça c'est du passé. On refait quelques bals c'est vrai, mais on sent bien qu'on a rien à y faire. Puis au final on se prend au jeu, on hurle pour déconner devant la mascotte crocodile qui balance des cadeaux. Pauline choppe deux strings, je suis trop fière d'elle, moi je me jette sur un dé lumineux avec des idées derrière la tête. Tu dis un chiffre, et si tu tombe dessus, t'enlève un vêtement. Parce que de toute façon je ne saurais jamais jouer au poker. Il faut rentrer, il fait noir, on réussit à se perdre dans les trois rues de Gez, mais où est donc passée la voiture ? Dans le silence le plus total, dans le calme complet d'une nuit en basse montagne, un crapaud nous saute sur les pieds. Du temps qu'on se rende compte de ce que c'est, on hurle à la mort comme des hystériques. J'aime ce genre de souvenirs, ça me fait toujours rire quand j'y repense.
Le lendemain, quand même, retour aux choses saines. Je me lève à une heure potable, et je passe la journée au cheval. Au milieu des herbes, les montagnes en toile de fond, les grillons, le ruisseau, les oiseaux, la terre qui respire, tous ces bruits que les citadins peuvent pas saquer, et qui seront ma bande son préférée à vie. Il faut quand même des points d'ancrage dans le réel, sinon on finit sûrement par péter un câble.

Maintenant je travaille. Je dois me lever à 5h30 le matin. Je devrais me coucher à 22h pour aller bien. Mais je n'y arrive pas, c'est contre nature, je ne peux pas aller à ce point à l'encontre de ma constitution biologique. La nuit me manque à vrai dire. Ca me stresse d'aller au lit aussi tôt. Le matin ça sert à rien, sans paraphraser l'autre abruti de JJ Homme doré. C'est vrai, qu'est-ce que tu veux faire le matin ? A part des trucs chiants, genre passer l'aspirateur... Je vois pas ! Allez me coucher si tôt, c'est gaspiller toutes ces heures disponibles pour faire de vraies choses intéressantes, comme aller me pourrir les yeux sur mon écran d'ordinateur et regarder sans écouter les vieux films du Cinéma de Minuit sur Fr3. Et puis 21h30, c'est bien trop tôt pour Frédéric et Mme Arnoux, ils n'ont pas la forme à cette heure là.

Et moi je n'ai pas la forme pour pointer à 6h45, pour ouvrir des vannes d'eau qui sent l'oeuf pourri, pour installer des gens sous des jets qui sont trop chauds, ou trop froids, pour les rincer avec un énorme tuyau, pour taper la discussion "Je prends toujours des douches froides, vous avez raison madame, c'est meilleur pour la circulation !" ni pour rester debout, sans croiser les bras, pendant six heures d'affilée. Enfin, ne nous plaignons pas, ce sera jamais pire que la boulangerie !

Certaines vieilles sont nues, c'est à la fois dégoûtant de décrépitude et fascinant de beauté. Je contemple ce que chacune de nous deviendra; notre peau ferme et élastique qu'on parfume, nos jambes qu'on affine avec des talons immenses, notre démarche qu'on soigne, notre corps dont on essaie de tirer le meilleur parti, tout ça, distendu, déformé, atrophié, abîmé, par les grossesses, le temps, les petits accidents, la vie... C'est Les Trois Ages de la Femme que j'ai en face de moi. Quand j'entre dans la cabine et que je vois une nouvelle vieille nue, je me dis "et allez, encore un Klimt". Une demie heure d'attente les bras ballants, je ne pense à rien, je me dis que je ressemble à une infirmière dans un sanatorium. J'ai une idée très romanesque des sanatorium. Il y a plein d'écrivains qui ont été dans des sanatoriums. Kafka... C'est à cause de Charles Juliet que j'aime cette idée de sanatorium, l'histoire de sa mère, cette rencontre dans un bois, sous la pluie.

Je veux vivre quelque chose de romanesque. Quand on courait sous la pluie avec mes compagnons de scène, en hurlant Singing in the Rain, je n'ai pas pu m'empêcher de dire à Iris que j'aurais aimé vivre ça avec un individu de sexe masculin, claquer la portière de la voiture, trempés, en riant, essouflés par la course... Enfin vous voyez le topo. En douchant les bourrelets des vieux, je pense au baiser dans les blés de Room with a View, à des passages d'Aurélien, à des trucs que je m'invente en rapport. Je me dis qu'il faudrait apprendre un passage de Flaubert, d'Aragon, de Musset, pour me les réciter pendant les six heures terre à terre et prosaïques. C'est la seule chose pour tenir.

Pas grand monde n'aura eu le courage de lire ce billet jusqu'au bout, sans doute, moi c'est ma vie que je n'ai pas le courage de vivre jusqu'au bout. Des fois je raisonne et je me dis, putain mais qu'est-ce que je fous là ? Je devrais être en train de vivre un truc passionant, sur les planches et nulle part ailleurs, je devrais être en train d'écrire un truc passionant, et je suis là, en train d'arroser la vie déclinante, enterrée dans un couloir qui m'empêche de voir le jour ou le temps qu'il fait.

Bouge toi le cul Floriane !



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