jeudi 4 novembre 2010

Ô ma saison mentale

J'ai passé un été complètement déconnecté de toute notion temporelle. Ce n'était pas 2010, c'était la jeunesse. Un été lent et insomniaque, où les bars devenaient nos salons, les enceintes nos baffles, la foule la famille. Paris pour moi toute seule, la ville qui me semblait si froide devenue centre du monde.

Et soudain novembre. Il fait encore bon, les arbres prennent le temps de devenir fades. Au milieu d'un brouhaha informe de fantasmes de vies, seul le désir de filmer atteint la surface. Cadrer est la seule action qui me concentre. Le reste est vapeur indéfinie, je ne peux pas parler A sans penser B, je me perds. Le bouton Rec fait tout taire et m'apaise. Je retrouve dans le viseur cette sérénité de la scène de théâtre, celle d'exister uniquement au présent, dans une instantanéité qu'on a recherché et qu'on chérit. Je peux recommencer cent fois, essayer de m'améliorer me passionne, et même quand je suis laborieuse je retente sans jamais me lasser. Pour tout le reste j'aurais déjà baissé les bras, mais filmer me donne confiance, je sais que c'est ce que je dois faire.

Depuis que l'automne est arrivé, les forêts de plaine, toutes plates, et leurs étangs artificiels me font une étrange impression. En deux semaines, j'ai été amenée à poser ma caméra pas mal de fois dans cette nature en carton pâte, et je suis attirée à tous les coups dans cet univers inexplicable : l'est des États-Unis dans les années 70. Tout est prétexte à faire jaillir un campus peuplé de types en pantalon évasé, Ray-Ban aviateur, cheveux un peu longs : le jaune, le rouge, la forme des arbres, la régularité des pelouses, la race des chiens. Même si je ne comprends absolument pas d'où me viennent ces images, j'adore me réfugier dans cette atmosphère, et y passe une très belle saison.

J'ai passé mon enfance à vivre des aventures dans ma tête, à inventer des mondes, j'ai mené des centaines de vies parallèles à la vraie. Je suis passée pour une illuminée. J'ai trouvé un métier qui rend tout ça normal. Chouette.