mercredi 11 novembre 2009

Petit Rat

Je regrette mes cours de danse classique. J'idéalise sûrement les choses avec le recul. Notre prof était ignoble. La femme la moins pédagogue du monde, empâtée, enrobée dans des pulls improbables, fumant beaucoup trop de clopes sur le seuil du préau où la neige entrait en hiver. Nous avions toutes peur d'elle, Arlette. Elle avait un chandail noir avec une étoile dorée, où était écrit CHIC, une serpillère passée cent fois à la machine.

Et pourtant les chaussons roses usés jusqu'à la corde, troués sous les talons et au bout du pied, le justaucorps, le cache cœur, la cinquième, l'arabesque, la dent perdue d'Angéline, nos listes de Noël échangées entre deux entrechats, la musique classique. Mes crampes au pied. La souplesse.

C'est tellement beau la danse, je n'ai jamais rien vu de plus beau que ce ballet, où l'Ange Gabriel violait Marie (oui, c'était de la contemporaine, c'est conceptuel). Un danseur c'est de l'art en mouvement, il est à la fois l'artiste et l'œuvre. C'est plutôt fort.

Quand parfois sur scène je ne sais pas quoi faire de mes mains, où quand je me rends compte trop tard, sur un écran, que mes épaules sont courbées, que je me tiens mal sans le savoir, je meurs d'envie d'avoir cette maîtrise parfaite du corps, de savoir où je suis exactement dans l'espace. Je rêve d'airs de piano, de rythme scandé à voix haute, jusqu'à 6, de grand miroir et de barre, de cadence et de grâce, de chignon qui dégage le visage et d'un corps structuré qui travaille. J'ai peur du chantier qui s'effrite.