Nous étions si mal à l'aise, debout l'un en face de l'autre, inconfortables sur cette moquette vert sale rongée par je ne sais quoi. En tout cas, s'il ne l'était pas, j'étais mal à l'aise. J'avais du mal à le voir, découpé en contre jour dans l'encadrement de la fenêtre à moitié cachée par les lits superposés, la luminosité d'une fin de journée de pluie me faisait mal aux yeux. Et puis il y avait quelque chose de dérangeant dans sa façon de se tenir, son enthousiasme trop grand pour la pièce, sa maigreur. Il ne me laissait pas le temps de parler, de traduire l'anglais dans ma tête, il m'assommait de théories que je ne maîtrisais pas, que j'avais du mal à comprendre. Il réfutait tout ce que je ressentais à propos du langage en s'appuyant sur Derrida. Sur le moment, j'avais été noyée dans ma frustration.
J'étais à Bath, pendant mon périple en solitaire à travers le sud de l'Angleterre. J'avais atterri dans une auberge de jeunesse miteuse, et croisé dans le dortoir cet étudiant américain, de Chicago, qui errait en moto le temps des vacances de Pâques. Avec le recul, cette conversation fait date dans ma vie comme l'une des plus importantes. Elle me sert de réflexion sur l'écriture, sur ce que j'ai à dire, et de la façon dont je dois tenter de le dire.
Mais ce qui m'a marquée surtout, c'est cette phrase qu'il a dite : "Je veux croire en quelque chose". Je me souviens, il m'expliquait qu'il écrivait un scénario de science-fiction, en espérant le vendre à la télé américaine. Cela parlait d'un ado perdu dans un monde sans morale, qui devenait ninja par foi en la Justice. Il écrivait cette histoire depuis la mort de ses parents, parce que cela lui donnait une raison d'être là. Ensuite on s'était pris la tête sur le "sujet" du scénario que j'essayais d'écrire, je lui disais que j'écrivais sur quelqu'un qui se sent trompé par les mots, et décide de ne plus parler, de se retirer du monde. Il me disait que ce n'était pas un sujet. Que son sujet à lui, par exemple, c'était "La Foi".
J'ai souvent repensé à ce garçon étrange, à son assurance. Moi, je doute même de moi. Je ne suis pas sûre de ce que je sais, j'ai toujours du mal à le défendre, je suis empêtrée dans ma confusion. Sa phrase a fini par me hanter. Moi aussi, je veux croire en quelque chose, avoir un refuge solide, un repère toujours présent auquel se rattacher. Mais tout ce que je crois, c'est que je ne suis sûre de rien.
A la mort de Rohmer, j'ai regardé Un Conte d'Hiver. L'héroïne perd son grand amour à cause d'une erreur stupide dans l'adresse qu'elle lui donne. Pourtant, durant tout le film, elle sait qu'elle le retrouvera. Et en effet elle le retrouve, happy end. J'ai trouvé sa foi en l'autre, sa confiance en la vie, magnifiques. J'ai bien essayé de l'appliquer dans ma vie, j'ai essayé de croire très fort en les sentiments, mais ma certitude fabriquée n'a pas fait long feu. Ne pas douter est contraire à ma nature. Je me suis résignée à être athée quant à l'amour.
Puis j'ai vu Un Poison Violent, dernièrement, et ça m'a rappelé mon catéchisme. Le curé nous avait bien dit que le doute n'était pas un péché, et qu'il faisait même partie intégrante de la foi. J'étais à côté des rails. Je peux donc croire en doutant. Mais je ne peux pas m'empêcher d'attendre une bonne raison de croire. Appelez moi Saint Thomas.